Par Parfait Nzeyimana et Charly Mathekis
Trente minutes que nous voguons sur le lac Kivu. Si le temps était élastique, on serait toujours là, devant la vue de l’eau formant bulles et rayons lumineux, lorsque le canot perce l’espace ! L’œil ne se fatiguerait pas de voir de dos Guillaume Jan et Alexandre Mirlesse, assis à l’avant, en tailleurs japonais ou chinois.
Juif, les couleurs de Campus France/RD Congo sur la tête, garde le regard dans le vague… Poursuit-il un rêve inaccessible ? Ou bien, rêve-t-il à ce rêve-réalité que nous vivons, au rendez-vous des rencontres littéraires où l’échange est si convivial ?
Qu’importe, c’est une joie d’aborder un nouveau chapitre de notre randonnée littéraire ! Nous voici sur l’île de Cheguera, classée parmi les aires protégées du parc national de Virunga. Quelle eau claire et limpide ! Plongée dedans, non loin du rivage, la souche d’un arbre séculaire. Un oiseau guette du poisson.
De la pointe où Butoa Balingene, Kennedy Muhindo Mwewa et moi nous sommes dirigés s’aperçoivent des collines verdoyantes à l’ouest de l’île. Au nord, au-delà du lac, le majestueux volcan Nyiragongo, lequel surplombe la ville d’où nous venons, Goma. Des images à mémoriser ! Et déjà l’appel pour aller vers les différents ateliers d’écriture : c’est la raison première de notre venue sur l’île.
Les quatre ateliers d’écriture prennent leurs quartiers dans les différents coins de l’île. Jean-Pierre Orban va de nouveau dialoguer avec nous, comme hier et avant-hier, dans l’une des salles de classe, à la Halle des Volcans pour deviser sur l’écriture littéraire, ses objectifs. Ce sera le peaufinage, pour nous, de nos textes respectifs sur le conflit !
Je regarde le lac : carte postale ! Le temps est suspendu : ce coin rustique fait oublier qu’il est treize heures… Déjà ? Le dîner vient d’être annoncé en effet !
Que contemplent les écrivains installés autour de cette table bio ?… Un singe amusant : il descend allègrement des branches et s’en va rejoindre ses congénères…
Faisons honneur au repas : de la bière locale, une purée de tomate, de la viande hachée, de la pomme à la cendre, un ananas au volcan ! Quel poète a donc imaginé ce dessert inédit ? Un silence. Une méditation devant la tasse. Des sourires qui finissent en rires. Telle une bande magnétique, ils parcourent la table. Très calmement, on pique la rondelle d’ananas, on la mange au volcan, puis on boit un peu d’eau sucrée. Et voilà consommé « l’ananas au volcan » !
Photo souvenir ? On y va !… « Charly, veux-tu te déplacer et prendre la place libre, à côté d’Alexandre Mirlesse ? – Volontiers !… ».
Encore une heure ou deux d’ateliers. La dernière main sur les textes : d’ici deux heures, c’est la veillée littéraire …
Nous rejoignons Orban, adossé à un vieux canot. « Il faut à présent choisir un extrait en prévision de la soirée culturelle, déclare-t-il. Rien que cinq à six minutes pour lire le texte. Ça va aller ? » Les écrivains se remettent à l’œuvre. On peut entretemps admirer la performance des kayakistes.
C’est beau, la nage ! Le climat s’y prête. Un coup d’œil rapide sur le poème que je viens de peaufiner, face au volcan, assis dans l’un des fauteuils en toile verte. « Un poème dédié aux Rencontres littéraires », dis-je à Maëline Le Lay de passage, moulée dans son peignoir. « C’est bon. On va écouter cela », dit-elle.
La trompette annonce l’embarquement. « Adieu, Cheguera. Allons-nous, un jour, nous revoir ? ». Des souvenirs ineffaçables ! Déjà, la nostalgie ! Oui, belle île : la convivialité des gardes-chasse, une vue imprenable sur le lac, le volcan majestueux, des oiseaux, des fretins à fleur de l’eau et cette plage-prairie, loin des bruits asphyxiants de la ville…
***
Le volcan Nyiragongo, au nord-est de la ville, se détache d’un ciel auréolé. Le bus roule au milieu des Gomatraciens. Direction ? Les domiciles ou quelques hôtels disséminés dans Office I et Office II, quartiers populaires de la capitale touristique.
Yole ! Africa où se détache sur un fond rouge la forme de l’Afrique nous ouvre son portail. Les pneus roulent sur la pierre volcanique. C’est ici que nos voix vont résonner. Ce sera une primeur pour le public de Goma que d’entendre les extraits des récits vraisemblables et imaginés des écrivains réunis Au-dessous du volcan. En prélude, un film de Sperantia Sikuli et Sekombi Katondolo (Barua lako) sur l’éruption volcanique qui détruisit une partie de la ville de Goma en 2002. Des textes seront lus à la chaleur d’un feu ardent et sous un projecteur puissant. S’y trouvent mêlés joie et amertume, crainte et espérance, appel à la réconciliation et invitation à la réflexion. Oui, des textes où l’originalité de chacun et de chacune sera dévoilée grâce à des lectures expressives. Certains gomatraciens, plus tard, en aparté nous confessent : « On voit, par la lecture, que vous êtes, soit acteur, soit dramaturge ».
La dramaturgie ! Donner vie à des personnages de papiers, faire vivre le drame de l’Humain devant des humains, permettre une catharsis, apporter sa pierre à l’éclosion d’un Ailleurs, afin que l’on s’évade d’un monde parfois invivable. Kennedy Muhindo met en scène la rencontre de deux anciens copains, des partisans de deux armées antagonistes. Parfait Nzeyimana parle d’un étudiant devant aller recevoir son prix, empêché par un enrôlement forcé. Natacha Songore fait vivre sous sa voix un révolutionnaire face à sa conscience, les personnages de Claudia Munyengabe sont pris entre le passé qui les hante et le présent qu’ils peinent à vivre, ceux de Patrick Zézé sont écartelés entre l’est et l’ouest ; Juif, lui, met le doigt sur le conflit climatique, Natacha Muziramakenga déroule un conflit identitaire,… Quels talents !
Maëline Le Lay et Alexandre Mirlesse, eux, n’y vont pas par quatre chemins : « Merci au public de Goma ! Bravo, les écrivains : grâce à vous, on a passé des beaux moments d’émulation littéraire, à marquer d’une pierre (volcanique !) en attendant d’autres rencontres à venir ! »
Le feu s’éteint, rougeoyant. Les verres, les bouteilles se vident au fur et à mesure. Quelques causeries avec les acteurs de théâtre et de film locaux dont un connaît les artistes de ma ville natale :des apartés, des véritables rencontres, balayant les frontières des ethnies, des villes et des pays.
Mathe Kisughu, dit Charly Mathekis.
Parfait Nzeyimana
Parfait Nzeyimana est un Burundais amateur des lettres. Licencié en Droit, il exerce le métier de journaliste depuis une dizaine d’années. Actuellement, il travaille à Burundi Eco, un journal à dominantesocio-économique, où il publie régulièrement des articles relatifs à la littérature. Touché par les tribulations que connaît la région des Grands Lacs, il essaie de produire des textes ancrés dans l’histoire douloureuse de son peuple à travers une écriture dépourvue de toute fioriture. Comme la plus part des jeunes auteurs de la région qui ont du mal à se faire éditer, la plus grande partie de ses textes (entre autres Kiriyo, pièce de théâtre etL’œil du Chat, roman) dorment dans ses tiroirs.
Mathe Kisughu, ditCharly Mathekis
Poète, dramaturge, nouvelliste et metteur en scène, Charly Mathekis vit à Butembo, Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, où il est enseignant du secondaire. Licencié en français et langues africaines à l’ISP Muhangi à Butembo en 2017 (avec un mémoire sur l’engagement du héros chez Camus et Roblès), il est également un animateur culturel actif de Butembo. Lauréat des prix littéraires décernés par deux associations françaises de poésie – Europoésie et le Verbe Poaimer – ses poèmes ont été publiés dans leurs anthologies : La ballade du Bateau-ville, Drôles de Dates, Le quinzain de la colline, Jeux d’Épreuve, Europoésie-Unicef. Il a également reçu deux diplômes d’honneur du Centre culturel et de loisirs de Milly-la-Forêt pour ses nouvelles « La Symbiose » et « Que la fête commence ». Sa nouvelle, « L’envol des rapaces »,a été publiée dans l’anthologie Chroniques du Congo (présentées par Dominique Ranaivoson. Paris, Sépia, 2012). Aux éditions du Pangolin (Belgique), il a publié en 2017 Les Chroniques du Grabenet, en 2018, Du sang sur les neiges de Rwenzori.
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